Cybersécurité en Europe, le législateur durcit la loi
La responsabilité pénale des dirigeants au cœur du nouveau dispositif répressif
Au-delà des amendes financières, l’Union européenne introduit une responsabilité personnelle des dirigeants législatives en matière de cybersécurité. Une révolution juridique qui transforme la gouvernance des entreprises et redéfinit les priorités des conseils d’administration.
La fin de l’impunité managériale dans le numérique
Pendant des années, les infractions en matière de cybersécurité relevaient principalement du droit administratif, avec des sanctions appliquées aux personnes morales. Le droit pénal avait une place minimaliste dans l’orchestre de la régulation, reléguée au rang du triangle. Cette époque est désormais révolue. Le Parlement européen a légiféré. Le droit pénal s’invite dans le numérique. Comme aux USA, la responsabilité pénale des responsables des entreprises du numérique pourra être engagée cas de failles sécuritaires dans le numérique. La cyber sécurité est emmenée au premier plan. La responsabilité des hébergeurs de data pourra être engagé, tels que Amazon AWS, OVH cloud, Orange data etc.
La directive NIS2 prévoit des sanctions pénales visant les dirigeants des organisations qui auraient fait preuve de négligences. Cette disposition marque un tournant majeur : la cybersécurité devient une responsabilité personnelle des membres de la direction, au même titre que la responsabilité financière ou sociale de l’entreprise.
Un élargissement massif du champ d’application
La directive NIS2 englobe désormais un spectre élargi touchant près de 600 types d’entités différentes, regroupant plus de 10 000 entités allant des Entreprises de taille Intermédiaire aux grandes organisations. Cette extension massive bouleverse le paysage réglementaire européen.
Les petites et moyennes entreprises, longtemps épargnées par les obligations contraignantes, se retrouvent désormais dans le viseur du régulateur. Seules les petites entreprises des secteurs listés en annexe 2 de la directive échappent aux obligations, créant ainsi une distinction fondée sur la taille et le secteur d’activité.
Une gouvernance sous surveillance
La directive européenne impose une responsabilité accrue des organes de direction pour la validation et la supervision de la gestion des risques cybersécurité. Concrètement, les membres de la direction doivent suivre des formations régulières pour évaluer les risques et les pratiques associés.
Cette exigence transforme la cybersécurité en enjeu stratégique de premier plan. La cybersécurité devient un pilier transversal de l’organisation, intégrée aux processus décisionnels, aux ressources humaines et aux projets informatiques. Les conseils d’administration ne peuvent plus se contenter de déléguer ces questions aux directions techniques.
Le rôle renforcé de l’ANSSI en France
L’ANSSI, en tant qu’autorité nationale en matière de cybersécurité et de cyberdéfense, assurera en tant que régulateur le respect de la loi nationale, en ayant recours si nécessaire à des sanctions administratives sévères. L’Agence devrait connaître un vrai bouleversement de son organisation avec l’apparition en son sein d’une commission des sanctions.
Cette transformation institutionnelle dote la France d’un organe de contrôle comparable à l’Autorité des marchés financiers ou à la CNIL. L’ANSSI sort ainsi de son rôle traditionnellement consultatif pour devenir un véritable gendarme de la cybersécurité, doté de pouvoirs d’investigation et de sanction.
Des obligations techniques précises en matière de cyber sécurité
Les entités concernées doivent désormais mettre en œuvre un arsenal complet de mesures. NIS2 oblige les entités à effectuer fréquemment des tests et des audits techniques, tels que des tests d’intrusions et des scans de vulnérabilités. La sécurité ne se limite plus à l’installation de pare-feux ou d’antivirus.
Les entreprises devront effectuer des travaux de due diligence sur la chaîne d’approvisionnement, notamment en examinant les pratiques de cybersécurité en vigueur avec leurs fournisseurs et prestataires de services. Cette exigence étend la responsabilité des entreprises bien au-delà de leur périmètre direct.
La question du cumul de sanctions pour les hébergeurs numériques
L’une des complexités juridiques majeures concerne le cumul potentiel de sanctions. De nombreuses autorités, tant administratives que judiciaires, pourront être compétentes afin de constater des manquements, qu’il s’agisse de la CNIL pour les données personnelles, de l’ANSSI pour la cybersécurité ou de la justice pénale.
Ce risque de sanctions multiples pour un même incident soulève des questions de proportionnalité et de prévisibilité juridique. Les entreprises peuvent se retrouver sanctionnées par plusieurs autorités pour des faits identiques, avec des amendes cumulées potentiellement ruineuses.
Un investissement obligatoire mais structurant dans la cyber sécurité
La mise en conformité avec NIS2 constitue un levier stratégique pour transformer en profondeur la gouvernance numérique, la gestion des risques et la culture de cybersécurité des organisations. Au-delà de la contrainte réglementaire, les entreprises peuvent y voir une opportunité de modernisation.
Les bénéfices dépassent la simple évitement de sanctions : amélioration de la résilience opérationnelle, renforcement de la confiance des clients et partenaires, réduction des risques de pertes financières liées aux incidents. Les attaques peuvent mettre en moyenne 6,4 mois pour s’en remettre, avec des pertes financières pouvant atteindre 2,8 % du chiffre d’affaires annuel.
Des ressources européennes mobilisées
Dans le cadre du budget pluriannuel 2021-2027 et de son programme pour une Europe numérique, l’UE devait initialement investir 1,6 milliard d’euros pour la cybersécurité. Un financement supplémentaire de 1,3 milliard d’euros pour 2025-2027 cible notamment la protection des infrastructures critiques.
Ces investissements massifs démontrent que l’Europe ne se contente pas d’imposer des contraintes, mais accompagne également la montée en compétence des acteurs publics et privés. Des programmes de formation, de certification et de financement sont progressivement déployés.
L’introduction d’un véritable délit de cybersécurité européen, assorti de sanctions pénales pour les dirigeants, marque un basculement historique dans l’approche réglementaire. La cybersécurité n’est plus une question technique déléguée aux services informatiques, mais une responsabilité stratégique et juridique des plus hautes instances dirigeantes. Cette évolution, bien que contraignante, pourrait finalement contribuer à élever durablement le niveau de protection numérique du continent face à des menaces toujours plus sophistiquées.