Ces maires qui deviennent opérateurs télécom
Ces maires qui deviennent opérateurs télécom : les nouveaux FAI communaux
En partenariat avec Bisatel Telecom
En France, la fracture numérique demeure un enjeu majeur d’aménagement du territoire. Face aux carences de couverture dans les zones rurales et périurbaines, de plus en plus de collectivités territoriales prennent les devants en devenant elles-mêmes opérateurs de télécommunications. Cette mutation du rôle des maires marque une transformation profonde du paysage des télécommunications françaises, où l’initiative publique locale pallie les défaillances du marché privé.
Les réseaux d’initiative publique : un cadre juridique structurantDepuis 2004, l’article L. 1425-1 du Code général des collectivités territoriales autorise les communes, groupements de communes, départements et régions à établir des réseaux d’initiative publique (RIP). Cette compétence, renforcée par le Plan France Très Haut Débit lancé en 2013, constitue le fondement juridique permettant aux collectivités d’intervenir directement dans le déploiement des infrastructures numériques. L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) encadre rigoureusement ces initiatives pour garantir le respect des principes d’égalité et de libre concurrence.
Selon les données de l’ARCEP, au 31 décembre 2024, les RIP avaient permis de rendre raccordables 16,6 millions de locaux en fibre optique, soit 42% des locaux français et 60% du territoire national. Cette performance témoigne de l’efficacité du modèle d’intervention publique dans les zones délaissées par les opérateurs privés. Les collectivités territoriales mobilisent pour ces projets entre 13 et 14 milliards d’euros d’investissements, soutenus par près de 3,3 milliards d’euros de subventions étatiques.
Le SIPPEREC : pionnier de l’aménagement numérique territorialLe Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux de communication (SIPPEREC) illustre parfaitement cette évolution. Créé en 1924 et regroupant aujourd’hui 122 collectivités territoriales sur un territoire de huit millions d’habitants, le SIPPEREC s’est imposé comme le premier acteur francilien de l’aménagement numérique. Dès 2008, le syndicat a développé une politique d’aménagement numérique visionnaire, permettant aux collectivités, entreprises et particuliers d’accéder au très haut débit.
Avec plus de 4 200 kilomètres de réseaux en fibre optique et 610 000 foyers desservis en très haut débit, le SIPPEREC représente un modèle d’intervention publique efficace. Le syndicat, qui exerce également la fonction d’autorité concédante pour la distribution d’électricité et de premier producteur public d’énergies renouvelables en Île-de-France, démontre la capacité des collectivités à gérer simultanément plusieurs services publics essentiels. Son budget d’investissement annuel, compris entre 50 et 70 millions d’euros, témoigne de l’ampleur des moyens mobilisés.
Les modèles d’exploitation : de la délégation à la régie directeLes collectivités territoriales disposent de plusieurs modèles contractuels pour opérationnaliser leurs RIP. La délégation de service public, le marché public de travaux suivi d’un contrat d’affermage, ou encore le partenariat public-privé constituent les principales formes juridiques retenues. Dans la majorité des cas, les collectivités confient la construction et l’exploitation des réseaux à des opérateurs d’infrastructure spécialisés tels qu’Altitude Infrastructure, Axione, Covage, XP Fibre ou TDF. Pour les maires souhaitant s’engager dans cette voie, des solutions d’accompagnement et de coaching permettent de structurer efficacement leur projet de création d’opérateur télécom.
L’étude de France Stratégie sur le déploiement des RIP révèle une hétérogénéité significative dans les rythmes de déploiement. Tandis que certains territoires affichent des taux de déploiement supérieurs à 95%, près de la moitié des RIP étudiés présentent des taux inférieurs à 50%. Cette disparité s’explique par la complexité des contrats de délégation, parfois mal rédigés ou fondés sur des hypothèses économiques irréalistes, comme l’a souligné la Cour des comptes dans ses observations sur le secteur.
Les FAI associatifs : acteurs de la souveraineté numérique localeParallèlement aux RIP, l’émergence de fournisseurs d’accès Internet associatifs constitue une autre manifestation de la prise en main locale des enjeux numériques. La Fédération des fournisseurs d’accès à Internet associatifs (FFDN), créée le 12 mars 2011 par sept associations pionnières, fédère aujourd’hui 32 structures membres comptabilisant environ 2 700 abonnés et 3 700 membres. Ces FAI associatifs, guidés par les principes de bénévolat, solidarité, fonctionnement démocratique et défense de la neutralité du Net, représentent une alternative citoyenne aux opérateurs commerciaux.
Des structures comme Rézine à Grenoble, FAImaison à Nantes, Illyse à Lyon et Saint-Étienne, ou encore Sames Wireless dans les Pyrénées-Atlantiques illustrent cette dynamique territoriale. Le premier FAI associatif, FDN (French Data Network), créé en 1992, a tracé la voie d’un Internet libre et neutre. Ces initiatives locales permettent non seulement de fournir une connectivité dans des zones peu attractives pour les opérateurs commerciaux, mais aussi de promouvoir une vision alternative de l’accès à Internet, fondée sur le respect de la vie privée et l’absence de commercialisation des données personnelles.
Le baromètre FTTH publié par la FFDN en 2023 révèle néanmoins les obstacles auxquels ces structures font face. Seulement une trentaine de départements proposent des offres activées sur leurs RIP, c’est-à-dire des accès clé en main permettant aux petits opérateurs de proposer des services sans déployer leurs propres équipements actifs dans les nœuds de raccordement. Cette situation limite considérablement le terrain d’action des FAI associatifs, dont les capacités financières restreintes ne permettent pas d’assumer les investissements requis pour des offres passives.
Les enjeux économiques et réglementairesL’édition 2025 de l’Observatoire de la transition numérique des territoires, présentée par InfraNum, la Banque des Territoires et l’AVICCA (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel), met en lumière les difficultés financières croissantes des RIP. Malgré l’atteinte des objectifs de couverture du Plan France Très Haut Débit, avec un taux de 89% d’éligibilité à la fibre en zone RIP fin 2024, l’équilibre économique de nombreux réseaux reste fragile.
Les lignes directrices adoptées par l’ARCEP le 7 décembre 2015 visaient à garantir une convergence progressive des tarifs d’accès aux RIP vers ceux pratiqués en zone d’initiative privée. Toutefois, la consultation publique menée sur ce sujet a révélé de profondes divergences entre les acteurs du marché. La présidente de l’ARCEP a annoncé en mai 2025 une consultation sur un référentiel commun de définition des coûts, permettant aux collectivités de renégocier leurs tarifs d’exploitation. Elle a néanmoins tempéré les attentes en soulignant l’absence de solution miracle, les tarifs ne constituant qu’une partie d’un problème complexe.
La question des technologies déployées constitue également un enjeu crucial. Si la fibre optique jusqu’à l’abonné (FTTH) représente l’objectif prioritaire du Plan France Très Haut Débit, certaines zones bénéficient de solutions alternatives comme l’eSIM international pour garantir une couverture mobile complémentaire. Ces technologies permettent d’assurer une continuité de service dans les zones où le déploiement de la fibre optique rencontre des obstacles techniques ou économiques.
Le rôle des opérateurs d’infrastructure nationauxLes six principaux opérateurs d’infrastructure d’échelle nationale jouent un rôle déterminant dans la réussite des RIP. Altitude Infrastructure gère 19 réseaux représentant 1,9 milliard d’euros d’investissements et exploite 4 millions de prises FTTH. Axione, filiale de Bouygues, opère 6 500 communes pour 13 millions d’habitants et gère 6 millions de prises. Covage déploie et exploite 46 réseaux d’initiative publique ou privée. Orange, SFR (via XP Fibre) et TDF complètent ce panorama d’acteurs dont l’expertise technique et la surface financière permettent de concrétiser les ambitions des collectivités.
TDF opère notamment dans cinq RIP spécifiques : Val d’Oise Fibre (90 000 foyers et entreprises, 116 communes), Yvelines Fibre (110 000 foyers et entreprises, 148 communes), Val-de-Loire Fibre (320 000 foyers et entreprises, 513 communes), Anjou Fibre (220 000 foyers et entreprises, 142 communes) et Faucigny Glières Fibre (14 500 foyers et entreprises, 7 communes). Ces cinq réseaux totalisent environ 872 000 prises à raccorder en fibre optique, illustrant l’ampleur des infrastructures déployées sur le territoire.
Les défis de la commercialisation et de la montée en chargeLe succès d’un RIP ne se mesure pas uniquement à sa capacité de déploiement technique, mais également à son taux de commercialisation. L’observatoire d’InfraNum révèle que 82% des collectivités rencontrent toujours des problèmes sur les raccordements, malgré l’amélioration affichée des indicateurs par l’ARCEP. Cette situation préoccupante alimente les réflexions législatives, le sénateur Chaize persistant dans son souhait d’une nouvelle loi pour encadrer plus rigoureusement le secteur.
Le mode STOC (Sous-traitance opérateur commercial), qui permet aux opérateurs commerciaux de déléguer à l’opérateur d’infrastructure la gestion complète de la relation client, fait l’objet de débats intenses. L’ARCEP a essuyé un refus des opérateurs commerciaux d’expérimenter le mode opérateur d’infrastructure avec Altitude Infrastructures dans l’Essonne, département pourtant identifié comme un point noir par le régulateur. Seule une expérimentation sur un territoire opéré par Orange Infrastructures a pu être lancée, illustrant la difficulté de faire évoluer les pratiques du marché.
Perspectives d’avenir et souveraineté numérique territorialeL’engagement des maires dans le rôle d’opérateurs télécom marque une évolution profonde de la gouvernance numérique en France. Au-delà de la simple fourniture d’accès Internet, ces initiatives traduisent une volonté politique forte de reprendre le contrôle des infrastructures essentielles au développement territorial. L’Association des maires de France (AMF), qui regroupe 36 000 communes membres, et l’Association française des opérateurs mobiles (AFOM) ont réactualisé leur guide des relations entre opérateurs et communes, témoignant de la reconnaissance de cette nouvelle donne. Pour en savoir plus sur les solutions disponibles, consultez
La trajectoire présentée par l’observatoire estime que le 100% fibre devrait être atteint dès 2026 en zone RIP, contre 2028 pour les zones privées régulées et 2032 en zone très dense si les opérateurs maintiennent leurs rythmes actuels de déploiement. Ce paradoxe, où les zones rurales et périurbaines dépasseraient les métropoles en matière de couverture fibre, constitue une victoire symbolique de l’action publique locale.
Néanmoins, les défis demeurent considérables. La pérennité économique des RIP, l’accessibilité effective des offres activées pour les petits opérateurs, la qualité du service de raccordement et la montée en charge de la commercialisation constituent autant de chantiers prioritaires pour les années à venir. Le rôle de l’ARCEP dans l’établissement d’un cadre tarifaire stable et équitable, ainsi que la capacité des collectivités à apprendre de leurs expériences pour améliorer la rédaction des contrats de délégation, seront déterminants pour consolider ce modèle d’intervention publique.
Sources et référencesAutorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP)
– Panorama de la connectivité fixe en France (T4 2024)
– Lignes directrices relatives à la tarification des réseaux d’initiative publique (décembre 2015)
– Liste des projets de déploiement de RIP candidats au financement de l’État
Code général des collectivités territoriales
– Article L. 1425-1 relatif aux réseaux d’initiative publique
Fédération Française des Télécoms (FFTélécoms)
– Guide pratique à destination des maires sur la couverture mobile (2021)
Association des maires de France (AMF)
– Guide des relations entre opérateurs et communes (réactualisé 2007)
Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux de communication (SIPPEREC)
– Données publiques sur les réseaux numériques en Île-de-France
Cour des comptes
– Rapport sur le SIPPEREC, exercices 2008 et suivants
France Stratégie
– Étude sur le déploiement des réseaux d’initiative publique dans le cadre du Plan France Très Haut Débit
InfraNum, Banque des Territoires et AVICCA
– Observatoire de la transition numérique des territoires (édition 2025)
Fédération des fournisseurs d’accès à Internet associatifs (FFDN)
– Baromètre FTTH des réseaux d’initiative publique (2023)